À Hakanto Contemporary, un espace artistique dynamique à but non lucratif situé dans la capitale malgache Antananarivo, même la nourriture servie lors des vernissages fait partie de l'expérience artistique. L'exposition *Lamba Forever Mandrakizay* présentait 21 artistes malgaches explorant la signification culturelle du *lamba* – un tissu rectangulaire traditionnel porté comme une écharpe ou une ceinture lors des événements marquants de la vie, de la naissance à la mort. Généralement fabriqué en soie ou en coton, le *lamba* symbolise les liens entre les générations et les cultures à travers les diverses régions de Madagascar.
Pour cette exposition, le célèbre chef Lalaina Ravelomanana – qui dirige le restaurant renommé Marais à Antananarivo et est le premier chef africain admis à l'Académie Culinaire de France – a créé un menu de huit plats où chaque mets était enveloppé dans des tissus colorés. *"Quand les gens pensent à Madagascar, ils imaginent la pauvreté, la faune ou les problèmes environnementaux"*, explique Anja Rama, directrice générale de Hakanto, en présentant une assiette de pain plat orné de fleurs. *"Nous n'ignorons pas ces réalités, mais nous ajoutons de la profondeur à l'histoire – en montrant les aspects beaux et humains de notre culture."*
Madagascar, la quatrième plus grande île du monde située à 400 kilomètres au large des côtes sud-est de l'Afrique, possède une biodiversité incroyable, avec près de 90 % de ses espèces végétales et animales qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Cependant, la déforestation et le changement climatique menacent cet écosystème unique. Bien que plus de la moitié des 32 millions d'habitants de l'île aient moins de 18 ans et fassent face à des défis économiques, Rama souligne que l'histoire de Madagascar va bien au-delà de ces statistiques.
L'artiste Joël Andrianomearisoa, cofondateur et directeur artistique de Hakanto, a créé cet espace en 2020. Après avoir rapidement dépassé son emplacement initial, la galerie a déménagé en septembre dernier dans un vaste entrepôt. Architecte de formation travaillant dans divers médiums, Andrianomearisoa a représenté Madagascar lors de son premier pavillon à la Biennale de Venise en 2019. Malgré son travail international, il reste engagé dans le développement de l'infrastructure créative malgache. *"Les artistes ont besoin d'être nourris comme des jardins"*, dit-il. *"Je vois déjà des changements – les jeunes peuvent désormais montrer à leurs familles que l'art est une carrière viable, avec les bons systèmes de soutien en place."*
Andrianomearisoa considère l'essor artistique récent de Madagascar – particulièrement au cours des cinq dernières années – comme faisant partie de la construction de l'identité nationale depuis l'indépendance vis-à-vis de la France en 1960. *"Bien que la création d'une école d'art ne soit pas actuellement une priorité gouvernementale"*, note-t-il, *"peut-être n'avons-nous pas besoin d'une institution traditionnelle. Nous créons une nouvelle forme d'éducation artistique en fabriquant, en discutant et en répondant à l'appétit grandissant pour l'art local."*
Hakanto n'est pas la seule organisation à transformer la scène culturelle malgache. Parmi les bâtiments rouges, blancs et ocre d'Antananarivo... [le texte continue] niché dans ce paysage urbain vallonné, le Musée de la Photo – fondé en 2018 – préserve le patrimoine photographique malgache en numérisant des images datant de 1860 à 1960, aidant ainsi les habitants à renouer avec leur histoire. En 2023, la Fondation H – une organisation axée sur l'Afrique et ses diasporas – a ouvert son nouvel espace dans l'ancien bureau de poste de la ville avec une rétrospective de la défunte artiste Madame Zo, connue pour ses textiles expérimentaux fabriqués à partir de bandes magnétiques, d'électronique, de plantes médicinales et de mousse industrielle. Parallèlement, la galerie en bord de mer du photographe Pierrot Men, documentant la vie malgache depuis les années 1970, reste un lieu incontournable.
Vogue s'est rendu à Antananarivo pour rencontrer les artistes qui façonnent cette scène artistique dynamique. Ils ont partagé leurs parcours créatifs, leur lien avec leur terre natale et comment leur travail rapproche les gens et la nature.
### **Jessy Razafimandimby**
Né à Antananarivo, Jessy Razafimandimby, artiste multidisciplinaire de 30 ans, est diplômé de la prestigieuse école d'art HEAD à Genève. En 2024, il a connu des moments marquants, notamment en transformant les grandes salles du Musée d'Art et d'Histoire avec des installations immersives mêlant danse et instruments fabriqués à partir d'objets trouvés. En septembre, il a présenté son exposition solo *Corps des Volants à Six Étages* à Hakanto. Sa galerie parisienne, Sans Titre, a ensuite exposé son travail à Art Basel Paris, accompagné d'une exposition solo dans le Marais. La même saison, il a accueilli son premier enfant avec sa compagne et artiste Emma Bruschi, qui conçoit les costumes de ses performances.
**Vogue :** Vous avez vécu à Antananarivo jusqu'à 13 ans avant de partir en Suisse. Comment cette éducation a-t-elle influencé votre créativité ?
**Jessy Razafimandimby :** J'ai vécu deux vies très différentes. J'ai grandi à Amparibe, un quartier tranquille avec l'école et l'église à proximité. Nous vivions dans une maison de trois étages avec la famille élargie – cette proximité définissait le foyer pour moi. Partir à Genève a été un grand changement – nous ne connaissions personne – mais à la manière malgache, les premières personnes rencontrées sont devenues comme une famille. Pour moi, le foyer, c'est les gens avec qui on choisit de partager sa vie.
**Vogue :** Quels thèmes explorez-vous dans votre art ?
**Jessy :** Mon travail mêle art et design, surtout dans un contexte post-colonial. Je navigue entre la peinture – mon médium principal –, la sculpture, l'installation et la performance pour examiner les espaces domestiques, où l'intimité est à la fois fragile et vivante. La peinture me permet de créer des couleurs et des formes qui n'existent pas dans la réalité. Je cadre des figures humaines et non humaines dans des rectangles – comme des fenêtres vers d'autres façons d'être – pour rappeler que nous ne sommes pas seuls sur cette planète.
**Vogue :** Quelles idées reçues sur Madagascar rencontrez-vous à l'étranger ?
**Jessy :** Même en tant qu'immigré en Europe, je me surprends parfois influencé par des visions biaisées façonnées par les difficultés politiques et économiques de Madagascar. Beaucoup voient le pays comme en déclin, mais ce récit doit changer. L'art peut modifier les perceptions, élever notre histoire et offrir une perspective plus humaine. Les Malgaches portent des valeurs profondes, et l'art les exprime puissamment – c'est quelque chose que nous devons protéger, ainsi que les artistes qui l'incarnent.
**Vogue :** Comment votre travail aborde-t-il les préoccupations environnementales ?
**Jessy :** J'utilise des matériaux de seconde main, recyclés ou trouvés, ce qui ajoute naturellement du sens. Mais mon plus grand rêve est de créer une forme de logement social – rassemblant des personnes partageant les mêmes idées. Pour moi, assurer que les autres vivent dans la dignité est la forme la plus profonde de soin. **Durabilité**
### **Mialy Razafintsalama**
La photographe Mialy Razafintsalama a commencé à prendre des photos à 12 ans après que sa mère lui a offert un appareil. Tout en étudiant le tourisme à l'université, elle a rejoint un club photo – en étant la plus jeune membre – et a commencé à expérimenter différents styles. Ce qui était un hobby est devenu une carrière, grâce à des commandes et aux encouragements d'autres photographes malgaches, dont Kevin Ramarohetra. En janvier 2024, la jeune femme de 29 ans a présenté sa première exposition solo à Hakanto.
**Vogue :** Quels artistes admirez-vous ?
**Mialy Razafintsalama :** Pierrot Men est une légende ici. Ses photos sont captivantes et pleines d'histoires. Rijasolo a aussi une manière unique de saisir les instants.
**Vogue :** Comment décririez-vous votre processus créatif ?
**Mialy Razafintsalama :** J'utilise un Fujifilm X-T30 II avec des objectifs 15–45mm et 56mm pour photographier paysages et vie quotidienne. Je veux montrer la richesse culturelle des régions reculées de Madagascar. Mes portraits reflètent le chemin vers la reconstruction de l'estime de soi – beaucoup de Malgaches ne réalisent pas à quel point notre île est belle au-delà des lieux touristiques comme Mahajanga ou Foulpointe.
**Vogue :** Où puisez-vous l'inspiration à Antananarivo ?
**Mialy Razafintsalama :** La Teinturerie à Ampasanimao est un repère d'artistes, et Dune Coffee Shop à Ampandrana est idéal pour rencontrer des créatifs. Pour la vie nocturne, il y a le No Comment Bar à Isoraka et le Custom Café à Ampasamadinika. L'IFM à Analakely et l'AFT à Andavamamba organisent des événements culturels. Quand j'ai besoin d'inspiration, je visite les parcs nationaux de Ranomafana ou d'Andasibe.
**Vogue :** Comment votre exposition *Sedran’ny Tany (Les Épreuves de la Terre)* aborde-t-elle les questions environnementales ?
**Mialy Razafintsalama :** L'exposition présente 13 photos d'un road-trip de neuf jours le long de la Route Nationale 7, d'Antananarivo à Toliara. Elle reflète les luttes de la terre – comment les humains l'ont endommagée et cherchent maintenant des solutions durables. Je veux sensibiliser à la protection de notre terre et à l'impact de nos actions quotidiennes.
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### **Sandra Ramiliarisoa**
L'artiste textile Sandra Ramiliarisoa, 24 ans, crée des tissages saisissants à partir de *polyfloss* – une fibre recyclée produite par The Polyfloss Factory grâce à un procédé inspiré des machines à barbe à papa. Elle transforme les déchets plastiques en fils ressemblant à de la laine, faisant de ce matériau à la fois un art et un message. Elle a perfectionné son art grâce à R’art Plast, une entreprise sociale fondée par six jeunes artistes malgaches issus de quartiers défavorisés, tous diplômés de Ndao Hanavao, un laboratoire de design social.
**Vogue :** Quels artistes vous inspirent ?
**Sandra Ramiliarisoa :** Le travail textile de Joël Andrianomearisoa est poétique – j'aime les mots. L'œuvre de l'artiste français Benjamin Loyauté me touche aussi ; il parle d'humanisme et d'aide à travers l'art.
**Vogue :** Qu'est-ce qui vous attire dans le *polyfloss* ?
**Sandra Ramiliarisoa :** C'est écologique et innovant – c'est devenu ma signature. Je le file, tresse et tisse, montrant comment les déchets peuvent devenir quelque chose de beau. Je travaille surtout en blanc – c'est neutre et aide à voir clairement. Explorer sa texture me fascine.
**Vogue :** Que voulez-vous que les gens ressentent face à votre travail ?
**Sandra Ramiliarisoa :** Je veux qu'ils voient le tissage comme une signature de l'artisanat malgache. J'espère qu'ils reconnaîtront la valeur de ce savoir-faire ancestral et se sentiront assez curieux pour se demander de quels matériaux l'œuvre est faite.
**Comment la scène créative malgache a-t-elle évolué depuis que vous en faites partie ?**
Elle a changé progressivement. Quand j'ai commencé, il n'y avait pas beaucoup d'espaces ou de communautés qui soutenaient vraiment les jeunes créatifs comme moi. C'est différent maintenant.
### **Kevin Ramarohetra**
Le photographe Kevin Ramarohetra, 30 ans, initialement formé comme architecte, s'est tourné vers la photographie. Après avoir participé à un atelier avec Hakanto Contemporary, il a été invité à contribuer à leur exposition 2023 *Lamba Forever Mandrakizay*. Inspiré par des photographes comme Rodney Smith, William Helburn et Pierrot Men, il puise souvent son inspiration dans le Palais de la Reine à Antananarivo.
**Vogue :** Qu'est-ce qui vous a poussé vers la photographie ?
**Kevin Ramarohetra :** Cela peut sembler contradictoire, mais j'aime tellement la photographie que j'ai évité d'en faire un métier. Je crains que les demandes des clients, les délais et la pression de productivité ne gâchent la joie qu'elle m'apporte. Comme le disait le poète Théophile Gautier, *"Quand une chose devient utile, elle cesse d'être belle."* Comme un peintre perfectionnant sa toile, je passe des jours à peaufiner mes photos. La liberté artistique compte plus que tout pour moi.
**Vos photos sont vibrantes sans être sursaturées. Comment y parvenez-vous ?**
Je photographie avec un Sony A7III et un objectif Sigma Art 35mm. La composition est primordiale – comment les gens, les objets, la lumière et l'environnement interagissent. La couleur porte l'émotion. J'utilise surtout la lumière naturelle (95 % du temps, sans flash) car elle donne vie aux images. Je planifie à l'avance, même en vérifiant la météo des semaines avant, et je me laisse guider par l'espace. Surtout, je cherche l'harmonie entre sujet et décor, capturant la beauté des joies simples.
**Comment votre style créatif s'est-il développé ?**
Au début, j'ai expérimenté différents styles, et à mesure que mes goûts évoluaient, mon travail aussi. Je suis passé de simples prises de vue à ressentir vraiment les images, à me comprendre et à savoir ce que je voulais exprimer. Le confinement de 2019 a été un tournant – il m'a poussé à puiser dans mon environnement, à étudier d'autres photographes et à observer de plus près. La créativité vient d'un questionnement et d'une réinvention constants. J'espère que mon travail montre que l'imagination n'a pas de limites et que les moments ordinaires peuvent devenir extraordinaires avec la bonne perspective.
**Parlez-nous de votre travail dans *Lamba Forever Mandrakizay*.**
J'ai exposé 12 photographies imprimées sur du tissu *lamba soga*. Plutôt que de me concentrer sur son histoire ou sa technique, je voulais montrer le *lamba* comme un symbole émotionnel – tissé dans notre culture, présent dans les moments joyeux comme solitaires, transcendant le temps, la mort et même l'au-delà. Ce projet a élargi ma perspective, montrant comment un thème peut porter plusieurs significations à travers différents médiums, et m'a aidé à renouer avec mon héritage.
**Les interviews ont été éditées pour plus de clarté. La nouvelle saison de Hakanto Contemporary, *Sentimental*, se tient jusqu'au 21 septembre 2025, avec des expositions solo du musicien Mirado Ravohitrarivo et de l'artiste Mickaël Andrinirina, ainsi qu'une exposition collective et de nouvelles œuvres de la photographe et réalisatrice Felana Rajaonarivelo.**