Je devais être adolescente quand j’ai découvert ce livre étrange et fin, couvert de poussière sur l’étagère de ma mère. **The Cosmic Ordering Service**, annonçait la couverture, le texte s’étalant sur une image de graines de pissenlit flottant dans un ciel bleu. **Un guide pour réaliser vos rêves**, de Bärbel Mohr. Il y avait quelque chose d’attirant dans ce livre insolite au ton pragmatique. *”C’est fantastique”*, proclamait une citation de Noel Edmonds en première page. À l’époque, j’étais trop jeune pour savoir qui était Noel Edmonds. Mais tout de même—**fantastique**.
Si **Le Secret**, le phénomène de développement personnel de Rhonda Byrne en 2006, a suscité plus d’attention, c’est **The Cosmic Ordering Service**, publié quelques années plus tôt, qui m’a initiée à l’idée de la manifestation. Le principe du livre était simple : si vous vouliez quelque chose, il suffisait de *”passer commande”* à l’univers. L’écrire, fixer une échéance, et attendre que ça arrive. Tant que vous demandiez avec positivité, sans obsession pour le résultat, et—surtout—en y croyant, cela se réaliserait. Quoi de plus tentant ?
Pendant les dix années suivantes, j’ai cru fermement à la manifestation. Je n’en faisais pas la promotion—c’était mon rituel personnel—mais j’avais vraiment l’impression que ça fonctionnait. J’ai *”manifesté”* des emplois, des relations, même des gains inattendus. Je demandais une somme d’argent précise, puis je recevais un remboursement fiscal imprévu. Je souhaitais rencontrer la bonne personne, puis je la croisais dans un bar. Chaque fois qu’une *”commande”* aboutissait, je me sentais reconnaissante (le livre encourageait la gratitude—censée alimenter la manifestation). **Je suis une fille tellement chanceuse**, pensais-je, sans aucune ironie. **Si seulement les gens savaient comme c’est facile.**
Puis, je suppose, mon cerveau a rattrapé la réalité. Les choses que je voulais—celles que je **m’attendais** à avoir à ce stade—devenaient plus difficiles à matérialiser. Des amis issus de familles aisées achetaient des maisons ou fondaient des foyers sans pression financière. J’ai remarqué que certains pouvaient librement cultiver leurs passions créatives, tandis que d’autres, moins privilégiés, restaient coincés dans des boulots alimentaires. Je ne veux pas jouer l’étudiante naïve découvrant les inégalités sociales—mais les failles de mon système de croyances sont devenues évidentes. Vers la fin de ma vingtaine, la magie s’est estompée.
L’idée centrale de la manifestation—qu’elle passe par **Le Secret**, les gourous TikTok ou des applis comme **To Be Magnetic**—rejette toute responsabilité sur l’individu, jamais sur la société ou les circonstances. Si vous n’êtes pas riche, c’est que vous ne **croyez** pas assez. Si votre carrière stagne, vous ne visualisez pas assez le succès. Mais comment regarder le monde—ses injustices, ses échecs systémiques—et croire que nous obtenons exactement ce que nous désirons ? Je ne **voulais** pas cesser d’y croire—j’adorais ça, ça me semblait réel—mais la certitude s’effritait.
Cela dit, je ne pense pas que la manifestation soit totalement inutile. En 2011, l’illusionniste Derren Brown a réalisé une série Channel 4 intitulée **The Experiments**. Un épisode, **The Secret of Luck**, explorait pourquoi certaines personnes semblaient plus chanceuses que d’autres. Sa conclusion ? Ceux qui croyaient en leur chance étaient plus ouverts aux opportunités, tandis que les fatalistes les laissaient passer (comme ignorer un ticket de loterie gagnant par terre). Peut-être que toutes mes *”manifestations”* réussies n’étaient que le fruit de ma proactivité. Je n’ai pas *”manifesté”* un contrat d’édition—j’ai **écrit** un livre.
Même certains neuroscientifiques reconnaissent le pouvoir de la manifestation—mais avec moins de mysticisme et plus de science. Les explications scientifiques offrent une perspective différente. James Doty, neurochirurgien et auteur de **Mind Magic**, décrit la manifestation comme un *”étiquetage de valeur”*—le mécanisme inconscient du cerveau qui hiérarchise certains objectifs, influençant ainsi nos actions et résultats. *”Quand nous nous concentrons sur nos objectifs, le cerveau les considère comme importants”*, explique-t-il. *”Une fois ce but fixé, notre cerveau cherche activement des moyens de le concrétiser.”*
Pour moi, cette approche logique crée un dilemme : si on retire l’idée d’une *”force supérieure”* (pour moi, l’univers), est-ce que cela affaiblit le moteur de la croyance ? Demander à mon propre cerveau une nouvelle maison semble un peu vain—même si c’est probablement ce que je faisais depuis le début. Aussi irrationnel que cela puisse paraître, cela me semblait plus porteur de sens quand j’adressais mes espoirs à quelque chose de plus grand que moi.
Je ne manifeste plus avec la même ferveur qu’à 20 ans, mais je ne suis pas devenue une sceptique endurcie non plus. Comme pour tout ce qui touche au mysticisme, je pense qu’il y a un équilibre—où l’on peut *”attirer”* une promotion et croire en sa possibilité, sans supposer que la pensée positive seule peut surmonter une tragédie, une maladie ou une injustice systémique. Je n’ai pas touché à mon exemplaire usé de **The Cosmic Ordering Service** depuis des années, et je ne compte pas le faire. Pourtant, je ne l’ai pas jeté. Qui sait ? Peut-être qu’un jour, j’en aurai à nouveau besoin.