**Un pirouette de ballet parfaitement exécuté allie grâce et puissance, délicatesse et force** — ce qui explique aisément pourquoi Model/Actriz a choisi ce mouvement comme titre pour leur deuxième album, sorti aujourd’hui. Chacun des 11 morceaux est une leçon magistrale de chaos maîtrisé : la pulsation implacable de la grosse caisse et l’élan étincelant de la guitare dans l’intro "Vespers", le claquement percussif et l’arrogance assumée de "Diva", les distorsions tourbillonnantes et les échanges précis de "Departures". Comme lorsqu’on assiste à une ballerine réussissant un pirouette audacieux, l’effet est à couper le souffle.
Le chanteur Cole Haden — dont la présence scénique magnétique et les paroles explorant l’identité queer ont forgé la réputation du groupe comme un incontournable en live — a rencontré le batteur Ruben Radlauer et le guitariste Jack Wetmore lors de leurs études au Berklee College of Music en 2016. Après une pause de deux ans, ils se sont retrouvés en 2019 avec le bassiste Aaron Shapiro. Leur premier album, **Dogsbody** (2023), était un mélange explosif de punk, de dance et de noise rock qui a gagné en popularité grâce à des tournées incessantes. Avec **Pirouette**, ils semblent prêts à percer dans le mainstream.
L’album marque aussi un virage subtil, intégrant des sensibilités pop et le jeu de mots acéré et espiègle de Haden (*"I’m such a fucking bitch, girl, you don’t even know / Just imagine me absolutely soaked, dripping head to toe in Prada Sport"*, lance-t-il avec dédain dans "Diva"). Le single principal "Cinderella" — accompagné d’un clip réinventant le conte de fées comme une rave queer à Brooklyn, avec trois membres du groupe dans le rôle des Méchantes Sœurs — illustre cette nouvelle direction : un mélange d’énergie chaotique et d’accroches pop irrésistibles (Haden cite Janet Jackson et Kylie Minogue comme influences inattendues), avec des paroles abordant le sexe, la honte et la découverte de soi avec une franchise renouvelée.
*"Avec notre son, on ne devinerait pas à quel point Kylie a inspiré cet album"*, admet Haden. *"Mais j’ai revisité une musique qui me rendait nostalgique et ému, car je voulais que ce soit profondément personnel."*
Leur tournée **Dogsbody** — et le public diversifié qu’elle a attiré — a aussi influencé l’ambiance de **Pirouette**. *"Les lives ont dépassé les thèmes sombres pour devenir plus festifs"*, explique Wetmore. *"On voulait que les enregistrements captent cette énergie."* Le résultat ? Une musique parmi les plus palpitantes et inclassables de l’année. Bien qu’on y perçoive des traces de Nine Inch Nails, Radiohead ou Bowie, tout est filtré à travers le prisme unique de Model/Actriz.
Ici, le groupe parle à **Vogue** de son évolution sonore, des visuels ludiques de l’album et des surprises prévues pour leur tournée estivale.
**Vogue :** Votre premier album est sorti il y a un peu plus de deux ans, suivi de tournées sans relâche. **Pirouette** semble si différent — comment avez-vous trouvé le temps ou l’espace...
**Aaron Shapiro :** On a fait un voyage à Nashville pour notre première vraie session d’écriture, et cette semaine a vraiment défini l’esprit de **Pirouette**. On s’est demandé : *Que veut exprimer Cole ? Comment évoluer par rapport à notre précédent travail ?* Le premier morceau écrit là-bas était "Vespers", et même si on a mis du temps à en écrire d’autres ensuite, ce voyage reste mon premier souvenir d’entrer pleinement dans l’univers de **Pirouette**.
**Cole Haden :** Ce qu’Aaron ne dit pas, c’est qu’on était en tournée pour **Dogsbody** à ce moment-là. [Rires.] Donc on jonglait entre deux mondes — écrire de nouveaux morceaux tout en jouant des titres complètement différents.
**Shapiro :** Ouais, ça résume bien le défi — essayer d’écrire quelque chose d’honnête et réel tout en étant tiraillés. Il fallait rester fidèle à cette quête et y revenir sans cesse.
**(Photo : Kane Ocean)**
Les chansons cette fois semblent plus directes et personnelles — certaines, comme "Cinderella", s’adressent même à votre moi plus jeune. Quel nouveau territoire lyrique exploriez-vous, Cole ?
**Haden :** Sur **Dogsbody**, les paroles étaient plus ouvertes à l’interprétation, et l’une de mes plus grandes peurs est d’être mal compris. Je suis fier de ces textes, mais pour moi, il fallait être plus clair sur leur sens. Cet album, c’est ce que j’ai appris du premier — une réflexion sur mes expériences ces deux dernières années, et leur lien avec la vision que j’avais de moi enfant. Je parle à mon moi plus jeune tout en examinant qui je suis aujourd’hui. *Que penserait ce gamin de moi maintenant ?*
D’où vient le titre **Pirouette** ? Il colle parfaitement à l’énergie de l’album.
**Haden :** J’adorais l’idée d’être à la limite de perdre l’équilibre tout en ayant besoin de technique pour rester droit, comme une ballerine. Il y a quelque chose de délicat mais aussi d’athlétique, comme notre façon de faire de la musique.
Après avoir travaillé ensemble si longtemps, ressentez-vous cette synchronicité, presque comme une troupe de danse ? À l’écoute de l’album et en vous voyant sur scène, c’est l’impression qui se dégage.
**Shapiro :** Quand ça marche, absolument. Rien n’est jamais parfait, et on ne vise pas la perfection. Mais il y a cette idée de *machine élégante* — comme un robot dansant et sexy.
**Jack Wetmore :** Le mot **pirouette** a une délicatesse qui ne révèle pas l’athlétisme derrière. On a toujours cherché à apporter de la beauté à une musique lourde, donc ce titre résume un peu notre philosophie.
**Shapiro :** C’est marrant, c’était un titre envisagé pour le dernier album. On s’était dit : *C’est un super mot — il nous représente* — mais ça ne collait pas à l’époque. Cette fois, il est arrivé tôt et est resté.
Les visuels de cet album semblent plus ambitieux. Quelle était l’idée derrière le clip de "Cinderella", et comment s’est passé le tournage ?
**Haden :** Notre ami Nathan [Castiel], qui a réalisé la plupart de nos clips, était le choix évident car on voulait une approche narrative. Au début, je ne pensais pas qu’on réinventerait **Cinderella**, mais je voulais... *(suite)*
On voulait intégrer de la chorégraphie dans le clip, alors on a fait appel à notre ami Kevin Zambrano. Je savais que je voulais m’inspirer des clips pop ultra-produits pour une chanson pas forcément ultra-catchy mais qui a son charme. Intégrer ces éléments clinquants dans notre univers de musique intense n’est pas révolutionnaire, mais ça a un côté rebelle. Pour moi, il était crucial que les thèmes queer de mes textes et de mon identité soient au premier plan — visibles à l’écran — car c’est encore rare de voir un chanteur assumer ça pleinement.
C’est aussi rafraîchissant de voir un groupe dans ce registre s’amuser sans se prendre trop au sérieux.
**Haden :** Tout à fait. Même si la musique n’est pas explicitement politique, exister ainsi est politique par défaut. Mais surtout, c’était un plaisir. Tourner ce clip, c’était organiser la fête dont j’ai toujours rêvé. Maddie, qui joue la Fée Marraine, et Matt, qui incarne le Prince Charmant, sont deux de mes proches amis — donc passer deux jours à être ridicules avec eux, c’était la moitié du fun.
**Sur les performances live et les tournées :**
Vous avez une réputation de concerts intenses. À quoi s’attendre pour la tournée **Pirouette** ? Ressentez-vous la pression de toujours repousser les limites ?
**Shapiro :** Si on jouait juste pour répondre aux attentes, ça ne serait plus authentique. Lors de précédentes tournées, on sentait parfois que le public s’attendait à quelque chose de fou, et ça me donnait envie de faire l’inverse — juste rester là et jouer. Mais en réalité, on est naturellement théâtraux sur scène. Parfois, on se dit : *Ce soir, je vais juste bien jouer, pas de mise en scène*, et après, on se demande : *Pourquoi je me suis retenu ?* [Rires.] On s’amuse, mais on prend ça au sérieux.
**Radlauer :** Au début de la tournée **Dogsbody**, on s’est lancés dans une compétition interne — Jack jetait sa guitare, je balançais des batteries — et c’est vite devenu épuisant. Cette fois, on ira encore plus loin… mais différemment.
**Sur les tournées et l’épuisement :**
Comment gérez-vous le rythme des tournées ? Approchez-vous ça différemment cette fois pour éviter le burnout ?
**Haden :** Lors de **Dogsbody**, on cherchait presque notre point de rupture. Et quand on l’a atteint, il restait six mois de concerts. [Rires.] Mais au moins, on connaît nos limites maintenant — comme le nombre de shows d’affilée que je peux faire avant de perdre ma voix.
**Shapiro :** Maintenant, quand on reçoit des propositions, on planifie plus consciemment. On se demande : *Est-ce qu’on aura vraiment envie de le faire le moment venu ?*
**Haden :** Parfois, on a un jour de repos prévu, puis on reçoit une offre irrésistible — et hop, plus de jour off, on enchaîne sept concerts. Maintenant, on sait… sauf si l’offre est trop bonne.
**Radlauer :** Ce qui nous a vraiment vidés la dernière fois, c’était de ne pas avoir de nouveaux morceaux à jouer. On a appris que garder des titres frais dans le setlist est essentiel pour rester énergisés.
**Haden :** Quelqu’un à Chicago a tweeté : *"Je les vois pour la sixième fois ce soir. Je regarderais le même show encore, mais j’espère qu’ils jouent du nouveau."* On tournait dans une ville pour la troisième fois sans rien de neuf à proposer. Ça commençait à faire louche.
**Radlauer :** On ne peut pas manger le même plat indéfiniment sans s’en lasser.
Que pouvez-vous révéler sur les nouveautés du show cette fois ? Pour le fan qui vous a vus six fois — quelle sera la surprise ?
**Haden :** Je porterai des costumes. Cette tournée marque une nouvelle ère, donc attendez-vous à des surprises vestimentaires.
Est-ce que les autres réutiliseront les costumes de Méchantes Sœurs du clip "Cinderella" ?
**Shapiro :** Secret défense !
**Wetmore :** Je ne peux pas jouer de la batterie en jupe.
**Haden :** Enfin, pas **cette** jupe.
**Wetmore :** OK, alors trouvez-m’en une autre. À suivre.