Rencontrer Mia Threapleton dans une chambre d’hôtel à Cannes procure une étrange impression de déjà-vu. La poignée de main ferme, la voix et le visage de l’actrice londonienne me rappellent quelqu’un — bien que nous ne nous soyons jamais croisées auparavant. La raison devient vite évidente : elle est le reflet de sa mère, l’oscarisée Kate Winslet, héritant de ce même charme britannique chaleureux et sans chichis devenu la marque de fabrique de Winslet à Hollywood.
Vêtue d’une robe corsetée noire longue jusqu’au sol signée Alexander McQueen, avec des mules à bouts ouverts, des ongles rouge foncé et des bijoux audacieux portés lors de sa précédente apparition médiatique, Threapleton incarne parfaitement la jeune star montante faisant ses débuts à Cannes. Pourtant, elle ne pourrait être moins prétentieuse, assise au bord d’un fauteuil en sirotant de l’eau plate (« Les bulles pourraient gonfler dans cette tenue », plaisante-t-elle).
À seulement 24 ans, avec seulement quelques rôles à son actif — dont *I Am Ruth* aux côtés de sa mère et une brève apparition dans *Scoop* —, elle réalise désormais quelque chose que même Winslet n’a pas accompli : porter un grand film de Wes Anderson. Dans *The Phoenician Scheme*, la dernière aventure fantasque du réalisateur, elle incarne Liesl, une nonne des années 1950 dont la vie bascule lorsque son père distant (Benicio Del Toro), un homme d’affaires puissant, la désigne comme son héritière. S’ensuit un voyage chaotique à travers déserts et jungles, entre assassins et secrets familiaux.
Le personnage de Threapleton est plus tranchant que les héroïnes précédentes d’Anderson — spirituelle, impitoyable et ouvertement hostile envers son père. Malgré des scènes partagées avec des poids lourds comme Del Toro, Tom Hanks et Scarlett Johansson, elle vole la vedette avec un timing comique impeccable.
Quand *The Phoenician Scheme* sortira le 30 mai, sa vie changera sans aucun doute. Avant cela, elle revient sur les larmes lors de l’ovation cannoise, son hommage involontaire à sa mère sur le tapis rouge, et les conseils succincts de Winslet pour le festival.
**Vogue :** Vous avez semblé émue pendant l’ovation — que ressentiez-vous ?
**Mia Threapleton :** J’étais fière d’avoir tenu le coup… jusqu’à ce que la caméra zoome sur moi. Je me suis vue à l’écran et j’ai pensé : *Oh non, ils applaudissent pour moi — là, c’est fini.* [Rires.] C’était trop intense. Michael Cera, adorablement, m’a tapoté le dos en disant : « Laisse-toi aller. » Mais j’ai résisté — je ne voulais pas pleurer ! *Dieu merci pour le mascara waterproof !*
**Vous avez décrit Liesl comme un oignon. Quelles couches vouliez-vous explorer ?**
Elle est d’une grande complexité. Elle n’a pas revu son père depuis six ans et a tant de questions sans réponse sur la mort de sa mère, survenue lorsqu’elle était très jeune. Elle était pratiquement une orpheline envoyée au couvent, et elle a dû se dire : *Mon père ne s’intéresse pas vraiment à moi.* Puis, soudain, elle a l’occasion de le confronter. Tout au long du film, elle part en quête d’elle-même.
**C’est un rôle immense — Wes a vu des centaines d’auditions. Comment avez-vous réagi en l’obtenant ?**
J’étais dans un train, entourée de monde. J’avais passé ma journée à rafraîchir mes mails, terrifiée. Quand j’ai eu l’appel, je me suis assise par terre en pleurant, puis j’ai appelé tout mon entourage. Depuis mes 13 ans, c’est ce que je voulais — *exactement ça.* La semaine dernière, en rangeant des vieilles affaires, j’ai retrouvé mes journaux. Une entrée disait : *« Je regarde *Moonrise Kingdom* encore une fois, j’adore ce film. J’aimerais travailler avec Wes Anderson un jour. »* J’avais totalement oublié l’avoir écrit.
**Quel a été le défi le plus dur sur le tournage de Wes ?**
Franchement, toute l’expérience était unique. Sur ses plateaux, il n’y a pas de barrière entre castings et équipe — pas de trailers, pas d’écrans partout. Il n’est pas du tout hiérarchique ; nous étions tous dans le même bateau. Ça rendait tout stable, même pour une débutante. Le premier jour, je répétais chaque réplique dans ma tête, terrifiée, mais Wes m’a littéralement guidée par les épaules. Je me suis sentie si bien accueillie, et cette camaraderie me manque déjà. J’ai 24 ans, je n’ai jamais fait ça — jamais été à Cannes non plus. D’habitude, je suis en jean troué et vieux t-shirts tachés de sueur [*rires*]. J’apprends tous les jours.
**Quel a été votre moment le plus surréel à Cannes jusqu’ici ?**
Toute la soirée de première. Les grandes marches rouges intimidantes ! Je n’arrêtais pas de penser : *Ne trébuche pas, ne trébuche pas…* en montant avec cette immense jupe. Et aussi : *Surtout, que personne ne marche dessus.* Ensuite, la photo de groupe sur le tapis rouge, puis la salle — l’ambiance était électrique. Mon cœur battait si fort que je n’entendais plus rien. J’ai aussi réalisé que je ne pouvais pas m’asseoir dans ma robe corsetée, alors j’ai dû me plier en deux pour me poser.
On a tous dîné après. J’avais enlevé la robe verte et abandonné mes talons, n’en pouvant plus. Il y avait un petit balcon où nous étions, alors je suis sortie. C’était si calme — juste les étoiles et le chant des grenouilles — et je voyais tout le monde à l’intérieur, riant ensemble. C’était le premier moment où j’ai pu réaliser ce qui m’arrivait. Puis j’ai encore pleuré un peu.
**Parlez-moi de cette robe verte Oscar de la Renta. On dit que c’est un clin d’œil à la robe Givenchy by Alexander McQueen de votre mère aux Oscars 1998 — l’année de sa nomination pour *Titanic*.**
C’est drôle parce que j’ignorais qu’elle avait porté cette robe. Ce n’était pas du tout intentionnel. Dès la fin du tournage, je me suis dit : *Si ça passe sur un tapis rouge, je dois porter du vert* — cette couleur, c’est… le look signature de Liesl inclut des bas verts et du fard à paupières vert. J’ai adoré cette magnifique robe Oscar de la Renta — elle m’a rendue si heureuse — mais je ne savais pas que ma mère avait porté quelque chose de similaire. On me l’a dit le lendemain matin, et j’ai trouvé ça hilarant.
**Threapleton, 24 ans, à la première cannoise de *The Phoenician Scheme*.**
**Pascal Le Segretain/Getty Images**
**Kate Winslet, 22 ans, aux Oscars 1998.**
**Jim Smeal/Getty Images**
**Et vous portez du McQueen aujourd’hui aussi.**
J’ai toujours adoré McQueen, aussi loin que je me souvienne. J’avais environ 11 ans quand j’ai vu *Savage Beauty*, et ça a été une obsession.
**Votre mère était aussi très jeune — 20 ans — lors de son premier Cannes. Vous a-t-elle donné des conseils ?**
Elle a dit : *« Essaie de ne pas vomir par le nez. Respire ! »* J’ai été si occupée ici que je n’ai presque pas pu lui parler.
**Winslet, 20 ans, au Festival de Cannes 1996.**
**Photo : Getty Images**
**Threapleton à la séance photo de *The Phoenician Scheme*.**
**Photo : Getty Images**
**Votre famille a-t-elle déjà vu le film ?**
Personne de proche ne l’a encore vu, mais j’ai hâte. C’est une autre raison pour laquelle la première était si intense — j’ai réalisé : *Oh wow, tout le monde va regarder ça.* Le chat est sorti du sac. Et ça sort bientôt en salles. Je vois les affiches partout, et j’ai envie de disparaître. Je ne sais pas trop comment réagir.
**Comment gérez-vous ce moment ? Ça va changer beaucoup de choses.**
Je ne sais pas — dans ma tête, je n’ai pas encore vraiment réalisé. Ma vie normale, c’est promener mon chien et être à la campagne.
**C’est ce que vous ferez après la promo ?**
Exactement. J’ai juste envie d’une longue randonnée et de camper quelque part.
**Avant ça, avez-vous encore des obligations à Cannes aujourd’hui ?**
Non, je dois juste enlever cette robe et aller chercher un croissant !
**The Phoenician Scheme** sort en salles le 30 mai.