Christopher Clarey, journaliste sportif, a couvert plus de 100 tournois du Grand Chelem de tennis (et 15 Jeux Olympiques) pour *The New York Times* et *The International Herald Tribune*. Il est également l’auteur du célèbre livre *The Master : The Long Run and Beautiful Game of Roger Federer* paru en 2021. Son dernier ouvrage, *The Warrior : Rafael Nadal and His Kingdom of Clay*, est le récit définitif du plus grand joueur de terre battue de l’histoire—bien que, comme le note Clarey, Nadal ait également remporté huit autres titres du Grand Chelem sur différentes surfaces, une médaille d’or olympique et presque tous les grands honneurs du tennis.
Nous avons récemment échangé avec Clarey à propos de son livre perspicace et lui avons demandé de souligner quelques joueurs—hommes et femmes—à surveiller alors que Roland-Garros débute ce dimanche.
**Vogue :** Dès le début de votre livre, vous décrivez votre approche comme du « method writing ». Il est structuré en 20 chapitres, couvrant tout, de la biographie et l’évolution de Nadal à des plongées approfondies dans l’histoire des courts en terre battue en Europe et des anciens champions de Roland-Garros. Il y a même une analyse technique expliquant pourquoi les coups de Nadal l’ont rendu si dominant. C’est fascinant—mais comment avez-vous choisi ce format ?
**Christopher Clarey :** J’ai écrit *The Master* sur Federer en 2021, qui, sans être strictement chronologique, racontait surtout son histoire—ses rivaux, son parcours personnel. Quand j’ai envisagé d’écrire sur Nadal—que je couvrais aussi depuis ses débuts—je ne voulais pas répéter le même procédé créatif. Puis, quand Nadal a atteint 14 titres à Roland-Garros, je me suis dit : *C’est un chiffre que les fans de tennis retiendront pour toujours.*
Je voulais depuis longtemps écrire un livre sur Roland-Garros. Ma femme est française, mes enfants sont franco-américains, j’y ai vécu des années et j’ai toujours un logement à Paris. Je me sens profondément connecté à ce tournoi et je voulais raconter son histoire. Combiner ces deux idées—Nadal et Roland-Garros—s’est imposé naturellement. Rafa a transformé le tournoi, physiquement (il y a désormais une statue de lui à l’entrée) et en termes de ce qu’on pensait possible sur terre battue. Et Roland-Garros a façonné Rafa, lui permettant d’atteindre son plein potentiel. C’était la parfaite symbiose.
**Vogue :** Voir cette statue à Roland-Garros était frappant—un Espagnol honoré aussi ostensiblement à Roland-Garros ? Cela semblait surprenant, mais qui d’autre aurait pu l’être ? Pourtant, comme vous le détaillez dans le livre, Nadal n’a pas toujours été accueilli à bras ouverts, n’est-ce pas ?
**Clarey :** Non, et c’est important de le reconnaître. Un chapitre intitulé *The Backlash* explore cela. Quand Rafa est arrivé à Paris, c’était un prodige adolescent, et la foule adorait la nouveauté. Mais une fois qu’il est devenu clair qu’il était imbattable, certains fans se sont lassés de cette prévisibilité. En 2009, quand il a perdu contre Robin Söderling, l’atmosphère était ouvertement hostile—les gens ne soutenaient pas seulement l’outsider, ils voulaient activement la défaite de Rafa.
Avec le temps, Nadal est devenu une évidence, presque une force de la nature. Il est devenu partie intégrante de Roland-Garros. Les Français ont fini par reconnaître l’inutilité de lui résister et ont appris à admirer sa persévérance, sa discipline, sa dignité et l’importance qu’il accordait à leur tournoi.
Et ce qu’il accomplissait—14 titres—était tout simplement extraordinaire. Soyons honnêtes : la carrière de Rafa Nadal est extraordinaire, l’un des plus grands exploits de l’histoire du sport. Cela était évident lors de la cérémonie d’ouverture des JO l’an dernier, où il a reçu la flamme de Zinédine Zidane, le héros sportif ultime en France, dans un moment symbolique—représentant une fois de plus l’Espagne.
**Nadal portant la flamme olympique à Paris lors de la cérémonie d’ouverture l’an dernier.**
**Photo : Getty Images**
**J’ai entendu qu’il sera honoré à Roland-Garros dimanche ?**
Oui—c’est en partie pourquoi mon livre sort maintenant, pour coïncider avec cet hommage au tournoi qu’il a marqué. Quand il a quitté Roland-Garros l’an dernier, il n’a pas annoncé sa retraite ou quoi que ce soit. Il n’a jamais vraiment eu ce moment de conclusion. Sa dernière apparition à la Coupe Davis en Espagne en novembre dernier ne s’est pas passée comme prévu—son équipe a perdu tôt dans un match tardif. Ce n’était pas l’adieu grandiose que méritait son incroyable carrière. Alors j’imagine que dimanche sera un moment spécial—fort en émotions.
**Je l’ai interviewé quelques fois et l’ai trouvé insaisissable, comme souvent les athlètes—disant toujours des choses comme « Je fais de mon mieux ». Vous le connaissez depuis bien plus longtemps. Était-ce difficile de le faire se confier ? Pour moi, la barrière de la langue n’aidait pas, mais il n’a jamais semblé avoir besoin de s’expliquer.**
La barrière de la langue joue définitivement un rôle—moins maintenant, mais surtout au début de sa carrière. Mon espagnol étant correct, je l’ai toujours interviewé dans sa langue natale, ce qui m’a aidé à créer un lien avec lui et son équipe. Cela m’a aussi donné une vision plus claire de qui il est vraiment. Il est bien plus détendu, expressif, et même drôle en espagnol—plus éloquent aussi.
Mais vous avez raison—une de ses forces est qu’il voit les choses simplement. Il a une clarté incroyable sur la compétition et ses motivations. En même temps, il a un côté contradictoire—peut-être un trait familial, ou un truc de Majorquin, je ne sais pas. Si vous dites à Rafa qu’il est le meilleur, il contestera. Si vous dites qu’il n’a aucune chance, il contestera aussi. Il rééquilibre toujours les choses.
**Votre livre s’intitule *The Warrior*, ce qui capture sa volonté implacable de gagner. Vous citez son oncle Toni, son mentor de longue date, disant après le quatrième titre ardu de Rafa à Roland-Garros : « C’est plus beau quand c’est dur. » Plus tard, Rafa lui-même dit : « Peut-être que j’aime plus me battre pour gagner que gagner. »**
Cela résume vraiment qui il est. Il n’est pas Federer—on ne le regarde pas pour son élégance naturelle. C’est une question de détermination pure, de refus de perdre coûte que coûte. Cette volonté inébranlable de continuer.
**Vous avez tout compris—et j’adore que vous ayez mis en avant ces citations, surtout « J’aime plus me battre pour gagner que gagner ». S’il y a une phrase pour résumer Rafa, c’est celle-là.**
L’autre citation vient d’un moment d’introspection, où il essayait d’expliquer ce qui le motivait. Ce livre explore en profondeur sa rivalité avec Djokovic (*The Master* se concentrait plus sur Federer et Nadal), et en l’écrivant, j’ai réalisé que Djokovic semble... [le texte continue]
Certains joueurs ont l’impression de devoir prouver quelque chose au monde, mais je crois que Rafael Nadal a toujours joué pour se prouver des choses à lui-même. Prouver quelque chose aux autres peut avoir une fin, mais se le prouver à soi-même, jamais. C’est pourquoi Rafa s’est soumis aux entraînements éprouvants de Toni Nadal—frappant la balle deux fois plus fort que nécessaire—ou pourquoi il abordait les matchs des premiers tours contre des adversaires plus faibles avec l’intensité d’une finale de Grand Chelem. Il n’y avait aucun relâchement. Au final, Toni et Rafa ont adopté un état d’esprit où la course n’était pas pour gagner—mais pour embrasser le défi lui-même. C’était la seule façon que ça marche.
Un autre Espagnol, Carlos Alcaraz, a ouvertement exprimé son admiration pour Rafa. Est-il son véritable successeur en termes d’esprit combatif ?
En termes d’attitude sur le court, je dirais que Jannik Sinner ressemble plus à Rafa qu’Alcaraz. Pour Sinner, le tennis n’est pas une distraction—il partage cette même soif de progression. Stylistiquement, Alcaraz et Rafa sont très différents. Alcaraz adore divertir le public—un peu comme Federer, même si ce dernier ne le montrait pas toujours. On le voit dans son jeu—avez-vous déjà vu Rafa tendre l’oreille pour exciter la foule après un gagnant ? Jamais. Et vous ne l’avez jamais vu casser une raquette de frustration comme Alcaraz l’a fait l’an dernier après des défaites difficiles. Leur héritage espagnol et leur talent les rapprochent, mais Rafa a été construit—ou s’est construit—pour durer. Si Alcaraz peut en faire autant reste à voir. Sa carrière pourrait être plus imprévisible, avec des risques de blessures dus à son style agressif. Mais bon sang, quel spectacle—certains de ses coups me laissent bouche bée.
Qui d’autre devrait-on surveiller à Roland-Garros ? Est-ce trop tôt pour João Fonseca ?
Fonseca pourrait faire parler de lui, mais je ne pense pas qu’il soit prêt à dominer. Cela dit, il mérite qu’on le suive.
Le joueur qui m’intrigue vraiment est Arthur Fils, un Français de 20 ans. Il est spectaculaire, puissant et charismatique, et a livré des matchs serrés contre des joueurs comme Alcaraz sur terre battue cette saison. Il a clairement progressé et aura le public derrière lui—une énergie dans laquelle il excelle.
Si je devais choisir un vainqueur, je miserais sur Alcaraz—s’il est à son meilleur niveau. Mais sa régularité reste incertaine. Alexander Zverev est un autre cas intéressant—il est trop talentueux pour ne jamais remporter un Majeur, et avec une année un peu ouverte, il a une vraie chance s’il retrouve son niveau.
Ne sous-estimez pas Sinner—sa frappe de balle est phénoménale, et même si la terre battue n’est pas sa surface favorite, il reste dangereux. Et puis il y a Casper Ruud, double finaliste à Roland-Garros, dont le jeu est parfaitement adapté à la terre. Son lift et sa couverture de terrain rappellent le style de Rafa. Lors de ses précédentes finales, il n’a perdu que contre Nadal et Djokovic—qui ne seront pas sur son chemin cette année, sauf si Djokovic (qui vient de se séparer de son coach historique) opère un retour surprise.
L’ancien coach d’Andy Murray a réussi l’un des plus grands retours de l’histoire et a en quelque sorte relancé sa carrière. On ne peut jamais totalement exclure un joueur de son calibre, mais récemment, il n’a pas montré de signes d’être un vrai prétendant.
Et chez les femmes ? Avez-vous vu Mirra Andreeva jouer ?
Oui—Mirra est dans cette phase excitante où de grandes choses peuvent arriver, et je ne serais pas surpris qu’elle devienne championne à Roland-Garros. Elle adore le jeu et joue avec maturité, même si elle peut encore perdre son calme et sa concentration. Mentalement, elle n’est pas inébranlable. Mais elle a un bon service, une présence imposante sur le court et la capacité de gérer différentes situations avec sang-froid. C’est une prétendante sérieuse.
Je placerais Aryna Sabalenka en favorite, surtout avec des conditions à Paris légèrement plus rapides. Elle a un temps d’avance sur les autres en ce moment. Iga Świątek, en revanche, semble en difficulté—mentalement et physiquement. Elle n’a pas été à son niveau cette saison et paraît vulnérable.
Coco Gauff peut être brillante à son meilleur, mais parfois, ses vieux problèmes de revers et de service refont surface. Et puis il y a des joueuses comme Jasmine Paolini et Diana Shnaider, la jeune Russe que Paolini a battue à Rome la semaine dernière. Shnaider est un solide outsider—énorme revers, jeu puissant, et elle excelle sur terre battue.
Cette année s’annonce passionnante, avec tant de possibilités dans les deux tableaux. C’est ce qui la rend excitante. Ma seule requête ? Pas un vainqueur différent chaque année. J’adorerais voir des rivalités et une continuité aux côtés des surprises.
**Cette conversation a été éditée et condensée.**
**The Warrior : Rafael Nadal and His Kingdom of Clay**
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